Problématique : quelles notions artistiques peut apporter l'utilisation de nourriture dans une oeuvre ?Par le choix d'artiste tel que Joachim Mogarra, nous tenterons de répondre à cette problématique.
JOACHIM MOGARRA
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Quelques exemples
Avec la série des « Paysages romantiques », Joachim Mogarra propose une version étonnante et décalée des lieux et thèmes pittoresques de cette période de l'histoire de l'art : montagne, grotte, voyageur solitaire apparaissent, sujets isolés sur un fond noir ou baignés dans une ambiance lumineuse vaporeuse. Mais la montagne est un glaçon éclairé à la lampe de poche, la grotte, un bouchon de liège creusé au milieu, et le voyageur, un simple jouet !
Le travail de la lumière, le cadrage en contre-plongée, la grandeur des formats et le rendu charbonneux des tirages permettent en fait à l'artiste de créer de véritables ambiances qui transforment ces objets quotidiens, les extraient de leur contexte pour n'en garder que la forme et les effets de matière. Eclairés par derrière, le sucre et la glace deviennent translucides. Mogarra s'empare de ces denrées de base pour y sculpter des temples mystérieux ou un Paysage métaphysique dont les contours gracieux se détachent sur un fond indéterminé. Les arrières plans sont volontairement flous, animés de lumières diffuses donnant l'impression d'un espace illimité, d'un paysage enseveli sous la brume dont ne se distinguerait que quelques détails. Mogarra met ainsi en place une économie de l'image basée sur l'ellipse et les raccourcis. Jouant également avec le hors champ, il enrichit son image de possibles, encourageant le spectateur à prolonger son voyage imaginaire au-delà de ce qu'il voit. Souvent, les objets et thématiques sont choisis pour leur exotisme, leur caractère grandiloquent ou majestueux. On pense à la série de reproductions stéréotypées des monuments célèbres, à la série intitulée « Les plus hauts sommets » où un cache pot blanc retourné fait office de Mont Blanc et une corbeille de Nanga Parbat. Une relation d'ordre ironique se met ainsi en place entre l'objet représenté et son référent, que souligne généralement une légende manuscrite. Il s'agit toujours de faire grand avec des petits objets et un espace limité, d'incarner l'exceptionnel avec le prosaïque. C'est probablement ce jeu qui rend les propositions plastiques de Mogarra si séduisantes. Les techniques élaborées de création de l'image sont remplacées par une aptitude à glaner, dans les objets du quotidien, les conditions de possibilité du voyage imaginaire, du bricolage de visions fantastiques. |
Cet artiste catalan aime à jouer sur le rapport entre texte et image et sur l'usage de la légende, dont j'ai déjà parlé ici au sujet du travail de Boltanski (Les modèles. Cinq relations entre texte et images) A partir de presque rien, voire des objets du quotidien, il créé un petit monde et nous raconte des histoires. mais il faudrait prendre garde de n'y voir qu'un anodin travail ludique: Joachim Mogarra nous parle bien de d'une des spécificités de la photographie: il brise le "pacte réferentiel", en montrant de manière amusante son illusion, notamment par la pratique du dessin. Au passage, c'est un beau moyen de montrer le pouvoir de la légende, et d'interroger le rapport de la photographie à la représentation, en rappelant la photographie donne seulement l'illusion du réel et qu'on peut lui faire dire à peu près tout... On est proche du "Ceci n'est pas une pipe" de Magritte, un tableau justement intitulé La trahison des images.
Mais J. Mogarra retourne le procédé: le tableau de Magritte nous montrait que l'image d'une pipe n'est pas une pipe; Mogarra transforme les objets du quotidien en nous faisant croire aux pouvoirs de l'image et surtout du regard - nul n'est dupe, mais on se laisse enchanter. |